Fusions-acquisitions : la fièvre monte à travers toute l'Europe

Le volume de transactions, domestiques ou transfrontalières, franchit la barre des 200 milliards de dollars. La France s'affirme en moteur de la consolidation européenne.

Il y a une semaine, le scénario d'une alliance entre Engie et l'allemand RWE a ressurgi, avant d'être démenti quelques heures plus tard. Cela n'a pas empêché le syndicat CGT du groupe français, ce mardi, de déclarer que ce mariage peut avoir un sens industriel... Les grands projets de fusions transfrontalières ne sont plus tabous et déclenchent un certain climat de frénésie depuis janvier. Ces transactions ont dépassé, à fin mai, le seuil des 100 milliards de dollars... en hausse de 268 % sur un an, d'après Thomson Reuters. Toutes opérations confondues, le « M&A » sur la zone a ainsi franchi la barre des 200 milliards de dollars, si l'on prend en compte les opérations domestiques (103,8 milliards de dollars). Ainsi, en l'espace de cinq mois, plus du double de valeur de transactions a été annoncé par rapport à l'ensemble de l'année 2016, un sommet en dix ans.

Le « modèle Airbus», selon l'expression chère aux responsables politiques français pour promouvoir les champions européens nés de mariages de groupes de l'Hexagone avec leurs pairs de l'Union européenne, prend ainsi son sens. Luxottica s'est rapproché d'Essilor, PSA a mis la main sur Opel, Elis a lancé une OPA hostile sur le britannique Berendsen, et l'espagnol Abertis a créé un géant mondial des infrastructures avec l'italien Atlantia. « L'Amérique paraît plus protectionniste et incite les grands industriels à être manoeuvrants dans la consolidation européenne », explique Luigi de Vecchi, responsable des fusions-acquisitions en EMEA de Citi.

L'élection d'Emmanuel Macron a, en outre, donné le signe d'un possible rapprochement avec l'Allemagne dans de nombreux domaines comme la défense, l'énergie et les infrastructures. Si ce noyau européen se concrétise, il faut donc s'attendre à des réactions de grands groupes surgissant d'autres pays européens. » David Lomer, son homologue chez JP Morgan, souligne aussi que les valorisations boursières sont élevées, « ce qui indique que les investisseurs ont déjà intégré dans leurs prix de marché la croissance future. Or celle-ci n'est pas évidente à réaliser de manière organique » et pousse donc les grands groupes à faire du « M&A ».

Les groupes français à l'offensive

La France s'affirme comme le moteur de cette consolidation européenne. Outre de grandes opérations domestiques (Safran-Zodiac, etc.), les groupes français ont été les plus visés par des acquisitions dans l'Union (54,2 milliards de dollars, soit 26,2 % des transactions). Ils se sont révélés aussi les plus offensifs : à eux seuls, ils ont bouclé plus de 40 % des acquisitions au sein de la zone européenne.

Le Royaume-Uni n'est plus le premier pôle d'attraction des acquéreurs au sein de l'Union européenne, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur ses perspectives économiques. Les entreprises britanniques n'ont fait l'objet que de 18 % des rachats de concurrents européens (en 2015, elles pesaient plus de la moitié des rachats en Europe), malgré la baisse de la livre. Contre toute attente, le vote en faveur du Brexit n'a pas non plus conduit les groupes britanniques à multiplier les offensives sur le continent. Ils ont réalisé moitié moins d'acquisitions en volume sur la zone que les groupes français.

Au final, note Séverin Brizay, responsable des fusions-acquisitions en Europe chez UBS, l'Union ne fait qu'effacer son décrochage entamé depuis 2007. « Il y a dix ans, les grands industriels européens signaient autant de fusions-acquisitions que les nord-américains, et pesaient 44 % du marché mondial. Le poids de l'Europe a progressivement fondu de moitié jusqu'à passer derrière l'Asie pour la première fois en 2015. Elle est maintenant en voie de reconquérir sa place. »