Les mesures de restriction du crédit provoquent des effets pervers. L'opacité de cette nébuleuse, estimée à 8500 milliards de dollars par Moody's, soit 75% de la richesse nationale.
Chassez le fléau par la porte, il revient par la fenêtre. Face à l’endettement croissant de son économie, la Chine a dégainé ces derniers temps des mesures de contrôle strictes sur le crédit pour prévenir les risques financiers. Mais cette détermination nourrit en retour la « finance de l’ombre ». Ce « shadow banking » atteint un niveau record depuis le début de l’année, semant le doute sur la solidité du géant asiatique. Les prêts contractés auprès de fonds et d’entreprises, contournant le système bancaire classique, ont été multipliés par cinq entre janvier et avril, pour culminer à 129 milliards de dollars, selon les chiffres de la Banque centrale de Chine (PBOC).
Cette envolée de la finance parallèle coïncide avec le recul du niveau d’emprunt bancaire au premier trimestre, une première depuis sept ans. En mars, le volume des prêts a même reculé de 13 %. Une conséquence directe des mesures de resserrement du crédit orchestrées par la « Big Mama » - le surnom de la banque centrale - depuis la fin de l’année dernière, pour endiguer l’endettement inquiétant de la seconde économie mondiale, qui dépasse les 260 % du PIB.
Dégradée par Moody's
Mais, effet pervers, les entreprises et gouvernements locaux se sont tournés vers des modes de financement alternatifs - auprès d’officines et de fonds souvent opaques pour obtenir du crédit à meilleur coût - et souvent risqués. « Contourner les réglementations de plus en plus strictes est le premier facteur expliquant le rebond de la finance de l’ombre », explique Zhu Ning, professeur à l’université Tsinghua, à Pékin.
L’opacité de cette nébuleuse, estimée à 8 500 milliards de dollars par Moody’s, soit 75 % de la richesse nationale, est considérée comme l’un des risques grandissant du système financier chinois. Après une accalmie, les tentacules de cette pieuvre opaque s’étendent de nouveau pour atteindre un niveau record. « Il y a des signes que les réglementations pour endiguer la dette entraînent des conséquences indésirables en revivifiant le coeur des activités de shadow banking qui avaient été auparavant enrayées par de précédentes réglementations », s’inquiète George Xu, analyste chez Moody’s.
Face à l’assèchement du crédit, un nombre croissant d’industriels en surcapacité, ou de gouvernements locaux aux abois se tournent vers ces sources de financement alternatives et risquées, pointe l’agence dans une note du 8 mai. Des opérations souvent présentées comme des investissements dans de nouveaux projets, mais qui camouflent parfois des prêts visant à maintenir à flot des organisations à bout de souffle. Moins régulés que le secteur bancaire, les fonds peuvent maintenir cachés la nature précise de leur investissement offrant un paravent commode à un pan malade de la seconde économie mondiale, et qui pourrait se révéler une bombe à retardement en cas de réaction en chaîne suite à une faillite. Depuis le début de l’année, treize groupes chinois ont déjà fait défaut, incapables de payer leur dette.
C’est l’une des raisons invoquées par Moody’s pour justifier l’abaissement de la notation de Pékin, le 24 mai, prédisant une érosion de la santé financière du pays dans les années à venir. Une décision sans précédent depuis vingt-cinq ans, dénoncée par les autorités, qui se mobilisent pour assurer la stabilité du mastodonte à la veille du Congrès du Parti, cet automne, qui doit consolider le pouvoir du président Xi Jinping. Les marchés avaient alors haussé les épaules, relativisant les risques posés par la dette souveraine du géant, dont seulement 4 % sont détenus par des créanciers étrangers. « Pour cette raison, il n’y a pas de danger de crise à la grecque. Mais la Chine expérimente un modèle très risqué. Aucune économie majeure n’a vu une augmentation du niveau de la dette aussi rapide. C’est inquiétant », juge Zhu. Alors que sa croissance ralentit, l’économie chinoise « accro » au crédit voit son niveau d’endettement public et privé s’envoler. Il pourrait atteindre bientôt les 300 % du PIB.
Conscientes des risques, les autorités travaillent à de nouvelles réglementations pour limiter la finance de l’ombre. Elles sont cependant placées face à un dilemme, car ces pratiques contribuent à maintenir la croissance du PIB, autre priorité des timoniers rouges, en cette année politiquement sensible, au risque d’accentuer les déséquilibres structurels. « Le véritable problème du shadow banking est qu’il finance en priorité l’immobilier et les gouvernements locaux. Cela ne favorise pas la mutation nécessaire de l’économie », pointe Zhu. Un enjeu clé du mandat de Xi Jinping, qui semble pour l’heure placer l’impératif politique de stabilité avant la nécessité de réformes structurelles. Une ligne prudente qui devrait tenir au moins jusqu’au Congrès.